La tribune d'Enora Bachelot

Du labo à nos rayons : le microbiote intestinal, nouveau terrain de jeu de l’agroalimentaire

Longtemps ignoré, le microbiote intestinal est devenu un acteur clé de notre santé. En quelques années, il est passé des laboratoires de recherche aux rayons des supermarchés.

De nombreux produits mettent aujourd’hui en avant leurs bienfaits sur le microbiote intestinal.

Mais au-delà des effets de mode, que nous disent réellement les institutions scientifiques ? Et comment l’industrie agroalimentaire s’approprie-t-elle ce sujet ?

Chaque individu abrite des colonies diversifiées de micro-organismes dont, il y a à peine une dizaine d’années, on ne connaissait que peu de choses.

Aujourd’hui, la recherche sur le microbiote en est à ses débuts, mais elle est déjà considérée comme un enjeu majeur du XXIe siècle.

L’étude des différents microbiotes (intestin, bouche, poumons, peau…) a déjà conduit à des avancées majeures dans la compréhension de pathologies comme l’obésité, les allergies, les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin ou certains troubles neuropsychiatriques.

Le microbiote intestinal occupe, lui, une place centrale dans les discussions scientifiques et nutritionnelles actuelles.

À la croisée de la diététique, de la médecine et des stratégies d’innovation de l’industrie agroalimentaire, il soulève à la fois des espoirs thérapeutiques, des enjeux réglementaires et des opportunités de marché.

Le microbiote intestinal : définition et caractéristiques

Le microbiote intestinal (ou flore intestinale) regroupe des dizaines de milliers de milliards de micro-organismes logés dans notre intestin. Il pèse environ 2 kg et constitue un organe fonctionnel à part entière.

Grâce aux avancées scientifiques, les chercheurs peuvent identifier certaines espèces présentes et leurs fonctions. Ce réservoir génétique (600 000 gènes dans notre microbiote, contre 23 000 dans notre ADN) contribue activement à la digestion, à la synthèse de vitamines, au métabolisme des graisses ou à la régulation de notre système immunitaire.

L’intérêt croissant pour le microbiote tient également à sa plasticité, c’est-à-dire à sa capacité d’adaptation selon son environnement.

Il évolue tout au long de la vie, de la naissance (où l’accouchement par voie basse joue un rôle déterminant en exposant le nouveau-né aux bactéries de sa mère, contrairement à la césarienne) jusqu’au vieillissement, où il subit de nouvelles transformations. L’allaitement et la diversification alimentaire façonnent également sa composition au cours des premiers mois de vie.

Cependant, certains facteurs comme les antibiotiques, le stress, la pollution, une alimentation ultra-transformée ou pauvre en fibres peuvent influencer la composition de notre microbiote intestinal et le déséquilibrer. Ce déséquilibre, qu’on appelle la dysbiose, se traduit par une altération qualitative et fonctionnelle de la flore intestinale.

De nombreuses études montrent aujourd’hui une corrélation entre cet état de dysbiose et certaines pathologies : obésité, maladies inflammatoires chroniques, diabète de type 2, dépression…

Par exemple, le lien entre microbiote et obésité a été mis en évidence dans des expériences menées sur des souris en laboratoire. Dans l’une d’elles, des chercheurs ont transplanté le microbiote de souris obèses dans des souris exemptes de flore intestinale.

Résultat : ces dernières ont rapidement pris du poids, sans modification de leur alimentation ou de leur activité physique. Cette expérience suggère que la composition du microbiote joue un rôle direct dans le métabolisme énergétique, le stockage des graisses et les réponses inflammatoires de l’organisme.

Source de l’image : Institut Danone

Le microbiote attire aussi de plus en plus l’attention des industriels. Certaines entreprises agroalimentaires ont investi dans des programmes scientifiques, voire mis en place leurs propres structures de recherche, pour mieux comprendre le microbiote intestinal.

Leur objectif ? Mieux comprendre comment l’alimentation influence la flore intestinale, et imaginer des ingrédients ou des techniques de fermentation capables de la préserver ou de la renforcer.

Du concept scientifique à la promesse marketing

Face à ces constats, le microbiote est devenu un argument de communication très prisé par l’industrie agroalimentaire.

De nombreuses marques misent aujourd’hui sur :

  • Les probiotiques : ce sont des microorganismes vivants qui, lorsqu’ils sont administrés en quantité adéquate, ont des effets bénéfiques sur notre santé
  • Les prébiotiques : ce sont des molécules (notamment des fibres) dont se nourrissent ces « bonnes » bactéries qui résident dans notre intestin
  • Les symbiotiques : ce sont la combinaison des prébiotiques et probiotiques

Le but est de formuler de nouveaux produits ou repositionner leurs gammes existantes tout en répondant à une demande forte.

Selon le cabinet Growth Market Reports, le marché mondial des probiotiques était estimé à 61,9 milliards de dollars en 2022, avec une dynamique qui touche tous les segments de produits alimentaires et toutes les populations : yaourts enrichis, boissons fermentées, barres de céréales enrichies en fibres, laits infantiles, compléments alimentaires … Ce marché pourrait atteindre 120,7 milliards de dollars d’ici 2031, soit un taux de croissance annuel moyen de 7,7 %.

Parallèlement, se développe tout un écosystème de services associés (tests de microbiote, diagnostics nutritionnels personnalisés, protocoles alimentaires adaptés) qui contribue à structurer cette nouvelle offre.

Mais cet engouement soulève aussi des questions sur ce que les marques ont réellement le droit d’affirmer en matière de santé.

En Europe, les allégations santé sont strictement encadrées par l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments), et aucune mention liée directement aux probiotiques ou au microbiote n’a été officiellement validée à ce jour.

En France, les fabricants ne sont pas autorisés à utiliser le mot « probiotique » sur leurs emballages. Ils ne peuvent mentionner que le nom scientifique des souches utilisées, souvent difficile à comprendre pour le grand public.

Dans une réponse au Sénat, le gouvernement a exprimé son souhait d’assouplir cette règle afin d’autoriser l’usage du terme à titre informatif, sans allégation de santé.

Pour rester en conformité, certaines marques privilégient des expressions plus générales, comme « naturellement fermenté », tout en poursuivant leurs efforts de recherche pour documenter les effets de leurs produits.

Malgré ces limites, le microbiote offre aux marques un vrai moyen de se démarquer. Il permet de répondre aux attentes des consommateurs en quête de produits plus simples, plus transparents et perçus comme facilitant la digestion.

En intégrant des ferments, des fibres ou d’autres ingrédients bénéfiques pour la flore intestinale, les marques redonnent de la valeur à des produits du quotidien, parfois perçus comme trop transformés.

Une vigilance nécessaire pour une alimentation éclairée

L’un des moyens les plus efficaces de préserver la diversité et l’équilibre de son microbiote reste l’alimentation.

Selon l’ANSES, une alimentation riche en fibres présente de nombreux bénéfices. Les fibres sont des glucides non digestibles que l’on retrouve exclusivement dans les végétaux (cf. article précédent : « 5 fruits et légumes par jour : le fruit d’une idée reçue ? »).

Elles permettent de nourrir les bonnes bactéries du microbiote, de favoriser leur diversité et de soutenir la production de bonnes graisses, bénéfiques pour la santé intestinale et métabolique.

Des chercheurs de l’INRAE ont montré que plus l’apport en fibres est grand et plus la diversité et le nombre d’espèces de bactéries sont importants.

À l’inverse, une alimentation pauvre en fibres et riche en sucres, en mauvaises graisses ou en additifs peut appauvrir la flore intestinale, favoriser une inflammation de l’organisme et l’installation sur le long terme de certaines pathologies.

Cette approche est d’autant plus importante que, contrairement à certains probiotiques qui ne s’implantent pas durablement dans l’intestin, les effets d’une alimentation équilibrée sont continus, durables et accessibles à tous. C’est aussi ce qui justifie l’intérêt de l’industrie agroalimentaire pour les formulations riches en fibres.

Une alimentation diversifiée est donc essentielle au bon équilibre du microbiote. De nombreuses études confirment qu’elle contribue à entretenir sa diversité et à réduire les risques de certaines maladies. Cela s’accompagne d’une hygiène de vie globalement saine (sommeil, activité physique…).

Les recherches sur le microbiote ne font que commencer. On découvre peu à peu son rôle dans la santé, mais il reste encore beaucoup à apprendre : quelles souches sont efficaces, pour qui, sur quelles durées… ?

Dans ce contexte, l’industrie agroalimentaire peut jouer un rôle clé en développant des produits qui soutiennent l’équilibre intestinal, dans une logique de prévention et d’amélioration du bien-être au quotidien.

Ainsi, le microbiote intestinal représente un enjeu majeur de recherche du XXIe siècle et un important levier d’innovation pour l’industrie agroalimentaire.

Mais entre promesses santé, formulation complexe et cadre réglementaire, il soulève aussi de nouvelles responsabilités pour les marques.

À l’heure où les consommateurs cherchent à mieux manger et à comprendre ce qu’ils consomment, la transparence et la rigueur scientifique seront les clés d’un marketing crédible et durable.


Diététicienne-nutritionniste diplômée et actuellement en 3e année d’école de commerce spécialisée en Food Business, Enora Bachelot aime  faire le lien entre les données scientifiques issues d’organismes de référence et les innovations du secteur agroalimentaire. Curieuse de nature, elle cherche à comprendre ce qui se cache derrière les évolutions des comportements alimentaires. C’est pourquoi elle décrypte ici les grandes tendances pour mieux nourrir le monde de demain. Voir son profil Linkedin.


 

Sources : INRAE, Sanofi, INSERM, Senat, Growth Market Reports

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