La tribune d'Enora Bachelot

Le fromage a-t-il encore la cote … ou est-il râpé ?

« Vous prendrez bien du fromage avec la salade ? » : qui n’a jamais entendu cette phrase lors d’un repas ?

Qu’il soit camembert, comté, roquefort ou chèvre frais, le fromage fait partie de notre culture gastronomique au même titre que le pain et le vin.

Symbole de convivialité et de notre terroir, il assure souvent la transition entre le plat et le dessert et fait rayonner le patrimoine culinaire français à l’international.

Cependant, ces dernières années, les Français consomment de moins en moins de lait animal. Les alternatives végétales représentent un marché en forte croissance et les réseaux sociaux bousculent les représentations d’un produit à la fois traditionnel et moderne.

Le fromage fait partie des aliments du quotidien mais peut-on en manger sans risque pour notre santé ? Comment se fait-il concurrencer par des produits venus du végétal ? Et surtout, comment se réinvente-t-il pour rester à la fois populaire et raffiné ?

Un plaisir culturel

Le fromage est sans doute dans le top 3 des aliments les plus emblématiques de la culture française.

Avec plus de 1 200 variétés répertoriées par le Centre National Interprofessionnel de l’Économie Laitière (CNIEL), il incarne nos différents terroirs.

Le comté raconte le Jura, le roquefort incarne les caves de l’Aveyron, le brie reflète l’Île-de-France. Chaque région a son fromage, chaque famille ses habitudes.

Sur la table quotidienne, il se coupe en toute simplicité ; dans les restaurants étoilés, il se présente sur un chariot, mis en valeur parmi un large choix.

Sur le plan diététique, tout dépend du type de fromage :

  • Les pâtes dures (comté, beaufort, parmesan…) sont les plus concentrées : beaucoup de protéines (28 à 30 g/100 g) et de calcium (près de 1 200 mg/100 g), mais aussi beaucoup de sel.
  • Les pâtes molles (camembert, brie …) restent de bonnes sources de calcium et de vitamine B2, avec un profil plus gras.
  • Les pâtes persillées (roquefort, bleu…) sont riches en lipides et en sel.
  • Enfin, les fromages frais (ricotta, brousse, petit-suisse…) contiennent davantage d’eau donc ils sont moins caloriques et moins salés.

A savoir que tous les fromages s’intègrent dans un équilibre alimentaire : choisissez celui qui vous fait plaisir !

Leur point commun, c’est leur richesse en calcium. Celui-ci est indispensable à la solidité des os et des dents, mais aussi à la contraction musculaire, à la transmission nerveuse et à la coagulation sanguine.

L’ANSES rappelle que les besoins quotidiens sont entre 950 et 1 000 mg pour un adulte (3 produits laitiers par jour : lait, fromage, yaourts). Or, le calcium des produits laitiers est dit bien assimilé par l’organisme.

Cependant, les lipides du fromage ne sont pas de la même nature que ceux du poisson (cf. article précédent : « Le poisson, dans les filets d’un produit tendance »).

Ces graisses fromagères sont dites saturées : en excès, elles augmentent le risque de maladies cardiovasculaires. Quant au sel, l’ANSES rappelle qu’une surconsommation au-delà de 6g par jour constitue un facteur de risque d’hypertension artérielle et de maladies cardiovasculaires.

À cela s’ajoute une question sanitaire pour certains aliments. L’ANSES rappelle que les produits laitiers au lait cru, ainsi que les fromages à pâtes molles, à moisissures (ex : le camembert, le brie …) peuvent transmettre des bactéries (salmonelles, listéria…).

Ingérées, elles représentent un risque pour les personnes fragiles, et en particulier pour la femme enceinte et le fœtus.

Mais alors, faut-il alors renoncer aux fromages pendant la grossesse, ou existe-t-il un moyen de continuer à en profiter sans danger ?

L’industrie agroalimentaire a trouvé une solution pour répondre à cette question : la pasteurisation.

Ce procédé consiste à chauffer le lait pendant 15-20 secondes (autour de 72-85°C) avant de le refroidir rapidement. Cela élimine l’essentiel des bactéries dangereuses tout en conservant les qualités nutritionnelles et le goût.

Grâce à cette technique, inventée par Louis Pasteur, les fromages deviennent plus sûrs. Les femmes enceintes peuvent alors continuer à en consommer, à condition de choisir des fromages pasteurisés ou à pâte pressée cuite (comme le comté, le gruyère).

Grâce à l’industrie agroalimentaire, le fromage reste un plaisir possible pour tous, même dans des périodes de vie plus sensibles.

Au-delà de la santé, le fromage est aussi un symbole de notre culture. C’est un produit qui engage les sens, qui rappelle des souvenirs et qui raconte une histoire.

Le luxe du fromage, c’est aussi celui du temps : l’attente de l’affinage, la patience de la maturation. Dans les palaces, il est mis en scène avec une valorisation de son storytelling.

L’industrie agroalimentaire et l’essor du végétal

Depuis vingt ans, les Français consomment moins de lait. Selon le rapport annuel de FranceAgriMer, entre 2023 et 2024, les achats de lait conditionné ont reculé de 2,5 %. Le lait biologique a particulièrement souffert (–12,2 %), tout comme le lait de chèvre (–15,1 %).

En quelques années, la fréquence des allergies alimentaires a doublé : l’INSERM estime que 2 à 3 % des adultes et 5 à 8 % des enfants sont concernés. L’allergie implique une réaction du système immunitaire face à une protéine alimentaire, pouvant provoquer des symptômes parfois graves (urticaire, œdème, choc anaphylactique).

L’intolérance, en revanche, n’est pas liée à une réaction immunitaire mais à une difficulté de digestion : c’est le cas du sucre du lait, le lactose, qui est mal absorbé par certaines personnes, provoquant ballonnements, douleurs ou diarrhées.

À ces problématiques de santé s’ajoutent les préoccupations environnementales et éthiques, ainsi que le recul du petit-déjeuner traditionnel avec son bol de lait.

L’industrie agroalimentaire a pris le virage du végétal. Les boissons végétales représentent déjà 66 % du marché français des alternatives laitières en 2024. Leur succès tient à une image très travaillée : packaging minimaliste, discours sur la durabilité, influence marketing.

Sur Instagram ou TikTok, le café à l’avoine est devenu un objet tendance, associé à un style de vie « conscient ». Le phénomène est accentué par le latte art, ces dessins réalisés dans la mousse de lait ou boissons végétales : fleurs, cœurs, animaux … des motifs photogéniques qui transforment une boisson en contenu esthétique et viral.

Le fromage lui aussi voit apparaître son alter ego végétal. Les faux-mages suivent la même dynamique. Leur marché mondial dépasse déjà 3 milliards de dollars en 2024 et pourrait tripler d’ici 2035.

Selon les données de Circana pour Good Food Institute Europe, leurs ventes ont progressé de +19,5 % en 2024 en France.

Leur stratégie est claire : imiter les codes du fromage traditionnel (fermentation, affinage, croûte) mais en partant de bases végétales comme le soja, l’avoine ou les noix de cajou. Ils veulent se positionner comme de véritables alternatives gastronomiques.

Du terroir à l’expérience client

L’avenir du fromage doit se faire en prenant en compte de nombreux enjeux. Ses atouts nutritionnels demeurent, mais ses graisses et sa teneur élevée en sel en font un produit à consommer avec modération.

Pour information, manger du fromage tous les jours fait partie de l’équilibre alimentaire : on conseille souvent d’en consommer une portion de 30 à 40g par jour.

Les alternatives végétales séduisent par l’absence de lactose mais manquent de calcium et de vitamine B12. Les discours de santé publique et les stratégies d’enrichissement se multiplient des deux côtés.

Sur le plan environnemental, l’élevage laitier représente en 2010 environ 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre selon la FAO. Dans cette logique, on pourrait supposer que les substituts végétaux affichent une empreinte moindre comparés aux fromages traditionnels.

En effet, produire des alternatives à base de soja, d’avoine ou de noix requiert en général moins de ressources et émet donc moins de gaz à effet de serre. C’est ce qui nourrit l’idée qu’ils pourraient incarner une consommation plus responsable, même si ces produits restent eux aussi transformés.

Mais c’est surtout à travers l’expérience vécue et les codes du luxe que le fromage se réinvente.

Aujourd’hui, on ne se contente plus d’acheter un produit : on cherche une histoire, une émotion, un moment à partager

Les coffrets de dégustation livrés à domicile, les ateliers où l’on apprend à marier un fromage avec un vin ou même un thé ou l’arrivée du plateau de fromage dans les restaurants étoilés transforment un simple aliment en une expérience unique. Le luxe repose donc sur de la personnalisation, de l’exclusivité et de l’esthétisme.

Par exemple, dans chacun de ses restaurants, Anne-Sophie Pic, la cheffe française la plus étoilée du monde, décline ses berlingots de fromages en fonction du terroir local.

Ces petites pyramides translucides, garnies d’un cœur coulant au fromage, plongées dans un bouillon parfumé, rappellent ces bonbons qui ont marqué toute une génération. Ce plat régressif et très gourmand éclate en bouche.

La conception de ce plat signature et la technique de pliage des berlingots contribue à faire retomber en enfance. Le luxe, ici, réside autant dans l’émotion que dans le raffinement.

Les réseaux sociaux prolongent ce rôle et deviennent une vitrine de l’expérience client. Aujourd’hui, le simple fait de remercier un client en repartageant ses stories s’apparente à un service après-vente, créant un lien direct et valorisant entre la marque et le consommateur.

Ainsi, le fromage est devenu un produit qui se raconte, qui se met en scène et qui se vend comme une expérience.

Les marques et l’industrie agroalimentaire l’ont bien compris : rassurer avec la pasteurisation, séduire avec des packagings et capter l’attention via les réseaux sociaux.

Dans un marché bousculé par les alternatives végétales, la différence se joue désormais sur la communication et l’image.

Le fromage devient un support de storytelling. Le marketing n’efface pas la tradition, il la fait évoluer pour mieux la prolonger.


Diététicienne-nutritionniste diplômée et actuellement en 3e année d’école de commerce spécialisée en Food Business, Enora Bachelot aime  faire le lien entre les données scientifiques issues d’organismes de référence et les innovations du secteur agroalimentaire. Curieuse de nature, elle cherche à comprendre ce qui se cache derrière les évolutions des comportements alimentaires. C’est pourquoi elle décrypte ici les grandes tendances pour mieux nourrir le monde de demain. Voir son profil Linkedin.

 

Source : CNIEL, ANSES, FranceAgriMer (Bilan annuel de la consommation de produits laitiers), INSERM, Grand View Research, Future Market Insights, Good Food Institute Europe

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