La tribune de Manon Vidal pour nourrir demain

Le lait et l’alimentation de demain selon Alexandre Budan

Le lait et l’alimentation de demain : Alexandre Budan, innovation manager chez Cargill, répond aux questions de Manon Vidal pour le média Pour nourrir demain.

Quels sont les défis actuels auxquels est confrontée l’industrie laitière en termes de durabilité ?

Les défis ne manquent pas, en particulier concernant la durabilité de la filière laitière. D’après une enquête Futuribles/CNIEL de 2021, la filière laitière française en recense 18, dont 2 considérés comme prioritaires.

Plus de la moitié des éleveur.es laitiers d’aujourd’hui seront à la retraite en 2030. Le renouvellement des générations pour la reprise des fermes est donc un défi majeur pour maintenir la collecte de lait et donc la durabilité de la filière. Le dérèglement climatique est également une préoccupation pour la profession.

Cela concerne l’adaptation des élevages aux changements de température et de pluviométrie et la mise en place de facteurs d’atténuation des émissions de carbone et d’azote.

Quel est l’impact d’1 litre de lait sur l’environnement ?

En sortie de ferme, la production d’1 L de lait émet 1,01 kg de CO2eq en moyenne d’après CAP’2ER®, l’outil de référence utilisé en France pour évaluer l’empreinte environnementale des élevages.

Pour obtenir l’impact carbone d’une brique de lait disponible dans le commerce, il convient de retirer le carbone stocké dans le sol des prairies et des champs, soit 0,15 kg de CO2eq/L de lait en moyenne et d’ajouter le carbone émis lors de la transformation, de l’emballage du transport et de la distribution, ce qui correspond à environ 0,30 kg de CO2eq/L de lait.

D’autres indicateurs, moins évidents à exprimer par litre de lait sont également importants pour décrire l’impact environnemental du lait. Certains sont positifs comme les ha de biodiversité entretenu, d’autres à améliorer comme le bilan azoté lorsqu’il est excessif.

Par quels moyens peut-on réduire cette empreinte sur l’environnement ?

Les élevages les plus performants en termes d’empreinte carbone émettent moins de 0,81 de CO2eq/ L de lait, soit 20% de mieux que la moyenne. Les solutions qui permettent d’atteindre cette performance sont multiples et souvent complémentaires. On peut citer :

  •  la diminution du nombre de jours non productifs : en diminuant l’âge au premier vêlage et en prolongeant la longévité des animaux
  • la prévention des maladies : pour réduire le lait jeté
  • l’utilisation d’aliments avec une faible empreinte carbone
  • nourrir les animaux individuellement pour optimiser l’utilisation des aliments et maximiser l’expression du potentiel de production
  • la plantation de haies : pour stocker plus de carbone dans le sol

Ces solutions peuvent avoir un impact à court ou long terme et représentent des investissements variables.

De nombreux programmes de recherche visent à développer des ingrédients alimentaires pour diminuer les émissions de méthane produits dans le rumen, qui est la source la plus importante d’émission de gaz à effet de serre par litre de lait.

Quelques solutions prometteuses issues de ces programmes sont en cours d’adoption par certaines laiteries, notamment en Europe du Nord, avec des résultats allant de 10 à 30 % d’émissions de méthane en moins.

Enfin des nouveaux colliers de rumination, disponibles à l’état de prototypes uniquement, permettent d’oxyder plus de 50% des émissions de méthane. Des marges de progrès majeures existent donc pour diminuer l’empreinte carbone du lait et la filière investit dans ce domaine.

La diminution des émissions d’azote est également un axe d’amélioration, notamment en Bretagne avec la problématique des algues vertes.

La filière a fourni des efforts pour atteindre un bilan moyen de 100kg d’azote/ha, ce qui est bien moins que nos voisins européens de l’Atlantique et représente une diminution de 15% en 20 ans (Dairy 4 Future, 2022). La filière est encouragée à poursuivre ces efforts. On peut regrouper les solutions permettant d’atténuer ces émissions en trois catégories.

  1. La réduction les apports d’azote dans la ration. Cela nécessite de nourrir les animaux par groupes, pas à l’échelle du troupeau, pour ajuster les apports d’azote aux besoins. En complément, l’utilisation d’additifs permet d’améliorer la digestibilité de protéines, de favoriser la synthèse de protéines dans le rumen ou d’apporter des acides aminés spécifiques.
  2. La réduction des apports d’azote dans les champs est facilitée par l’intelligence artificielle. On ajuste les apports aux besoins, grâce aux informations provenant du traitement de photos des parcelles. On peut aujourd’hui connaitre les besoins en fertilisation azotée pour chaque m2.
  3. La gestion des déjections permet de limiter les émissions d’azote dans l’air et dans l’eau. La couverture des fosses à lisier, l’épandage par incorporation dans les sols ou la séparation des phases liquides et solides sont des solutions qui fonctionnent.

Quelles sont les principales tendances en matière de lait et de produits laitiers durables que vous observez actuellement sur le marché ?

La durabilité nécessite d’avoir une approche multicritère si on veut une évaluation de qualité. Cela étant dit, des labels ont été mis en avant avec succès ces dernières années, tels que ceux garantissant du lait produit avec des animaux nourris sans OGM ou ayant accès un certain nombre de jours par an au pâturage.

En parallèle, la production de lait biologique a fortement progressé pour atteindre 5% de la production française en 2022.

Cependant ces tendances résistent mal à l’inflation et la volatilité du cours des matières premières que nous observons actuellement. Si on se tourne vers l’avenir, la plupart des laiteries ont pris des engagements forts pour diminuer l’empreinte carbone du lait, avec des jalons allant de 2025 à 2050.

Différentes stratégies émergent pour motiver les éleveurs à diminuer leur empreinte environnementale, avec des systèmes de paiement du lait intégrant des critères environnementaux dans le Nord de l’Europe et un système de crédits carbone pour les éleveur.es en France. Le lait bas carbone est une tendance qui pourrait émerger si la valorisation du carbone est suffisamment attractive pour la filière.

Comment voyez-vous l’évolution de la consommation de produits laitiers dans les années à venir, compte tenu des préoccupations croissantes en matière de durabilité et de bien-être animal ?

Les produits laitiers représentent l’un des meilleurs rapports entre leur coût et la quantité de protéines, de calcium, de vitamines du groupe B et autres nutriments.

Par ailleurs, le bien être des vaches laitières est en constante amélioration et la filière a largement communiqué sur des objectifs à atteindre pour améliorer la durabilité environnementale. Je pense que la plupart des consommateur.ices ont conscience de ces éléments.

Un rapport de l’IFCN de 2021 le montre. On attend une augmentation de la consommation de lait de 0,8% en Europe d’ici 2030, avec une évolution de la population de 1,7%. A ces niveaux de variation, on peut considérer que la demande est stable.

Comment répondre aux critiques qui accusent l’industrie laitière intensive d’être incompatible avec une approche d’élevage durable ?

Je pense qu’il y a besoin d’objectiver le débat. Pour cela il faut se mettre d’accord sur un système d’évaluation de la durabilité des élevages.

Plusieurs systèmes sont disponibles et doivent maintenant être adoptés par les parties prenantes.

Ce n’est pas simple car on a besoin d’une grille de lecture multicritères pour traiter de la durabilité en élevage, et l’interprétation des données nécessite des connaissances techniques et économiques. Utilisons ces outils pour définir les élevages qu’on veut pour demain.

J’ai tendance à penser que les élevages durables sont ceux qui vont au bout du principe de leur système.

J’ai des exemples de fermes qui excellent sur les critères de durabilité, et d’autres qui sont médiocres. Il est en de même pour les fermes extensives.

Portrait d’Alexandre Budan

Après des études d’ingénieur en agroalimentaire et un doctorat dans les domaines de la nutrition des ruminants et de la phytochimie, Alexandre a travaillé au développement d’actifs végétaux pour la nutrition animale chez Nor-Feed. En rejoignant l’équipe innovation de Cargill Animal Nutrition en 2014, il s’est spécialisé dans le développement d’aliments et de services qui répondent aux attentes des éleveur.es de ruminants tels que l’augmentation de la production de lait, la prévention des maladies métaboliques, et la diminution des impacts environnementaux.


Après avoir travaillé à différents postes dans le domaine de l’agroalimentaire, Manon a eu un déclic… Comment avoir de l’impact dans la transition écologique en mettant à profit ses connaissances ?  Elle s’investie aujourd’hui en rencontrant les acteurs de cette transition, notamment dans le domaine agri/agro et participe aux contenus de Pour nourrir demain. Voir son profil Linkedin.com.

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