La tribune d'Enora Bachelot

Flexitarisme et végétarisme : vers une nouvelle culture alimentaire et des marchés en plein essor

Depuis une décennie, nos comportements alimentaires évoluent. Portés par des préoccupations écologiques, sanitaires ou éthiques, de plus en plus d’entre nous pensent à revoir leur façon de consommer.

Dans ce contexte, on assiste à une croissance rapide d’autres régimes alimentaires, en particulier ceux du végétarisme et du flexitarisme.

Ces nouvelles manières de s’alimenter modifient nos assiettes : elles soulèvent également des enjeux de santé publique, d’innovation produit, tout en assurant un équilibre alimentaire quotidien

Une transition alimentaire portée par des scandales et des convictions

L’augmentation du végétarisme en France et en Europe a certainement connu un essor suite à la crise de la vache folle (1996).

S’en est suivie une peur et une diminution de la consommation de viande, renforcée par des scandales sanitaires comme celui de la viande de cheval retrouvée dans des lasagnes industrielles en 2013.

Résultat : une perte de confiance des consommateurs dans les filières animales, et un intérêt croissant pour les régimes alternatifs.

Les motivations pour devenir végétarien sont diverses : bénéfices reconnus pour la santé (sur le plan cardio-vasculaire ou de la perte de poids), convictions religieuses ou éthiques, envie de diminuer son impact environnemental avec la réduction de son empreinte carbone (12 % des émissions de gaz à effet de serre liés à l’élevage animal selon la FAO)

Plus récemment, deux régimes alimentaires se sont développés autour du végétarisme :

  • Le végétalisme qui exclut tous les produits animaux et ses dérivés (miel, œufs, fromage…).
  • Le flexitarisme, qui consiste à avoir un mode alimentaire essentiellement végétarien avec une consommation occasionnelle de viande et/ou poisson lors par exemple d’événements particuliers, comme des repas d’anniversaire ou des repas de Noël.

Selon l’IFOP (2020), 1,5 million de Français sont végétariens ou végétaliens, tandis que 16 millions se déclarent flexitariens.

Ce sont donc près d’un quart des Français qui modifient leurs habitudes, et forment une cible stratégique pour l’agroalimentaire.

Le végétarisme : Définition et équilibre nutritionnel

Pour rappel, le végétarisme se définit par l’exclusion des aliments provenant de la chair animale mais avec l’inclusion de ses dérivés comme les produits laitiers, les œufs, le miel…

Lorsque l’on devient végétarien, certains nutriments peuvent s’avérer être difficiles à couvrir :

  • Les protéines : elles sont essentielles pour notre organisme car elles participent à la construction des muscles, des enzymes et des hormones. Elles procurent la sensation de satiété et jouent un rôle important dans l’immunité. Elles sont constituées de petites unités appelées acides aminés dont 8 sont dits « indispensables », car notre corps ne peut pas les fabriquer lui-même : ils doivent être apportés par l’alimentation.
    Dans un régime omnivore, les sources animales (viande, poisson, œufs, produits laitiers) fournissent tous les acides aminés indispensables (AAI) en bonne quantité. Cependant, dans le végétarisme, les protéines végétales sont dites incomplètes, car elles sont souvent déficitaires en un ou plusieurs AAI.
    Par exemple, les céréales sont pauvres en un AAI (la lysine), et les légumineuses en un autre AAI (la méthionine). Il est donc recommandé de les associer (ex : riz + lentilles, pain + houmous) : c’est la complémentation protéique.
    On peut les associer sur le même repas ou au cours d’une même journée, afin que le corps puisse utiliser l’ensemble des acides aminés nécessaires. Chez les végétariens qui consomment encore des œufs ou des produits laitiers, ces derniers peuvent aussi aider à équilibrer l’apport protéique, en complément des sources végétales.
  • Les lipides (notamment les omégas 3, le DHA et EPA) : les végétariens ont, d’après l’ANSES, des niveaux sanguins d’oméga 3 plus bas par rapport aux omnivores. Ils présentent également des apports insuffisants en EPA et DHA, deux types de lipides principalement présents dans les poissons gras (saumon, sardine, maquereau …).On conseillera donc également aux végétariens la consommation d’huiles de noix, lin, caméline (environ 50% d’oméga 3) ainsi que les graines. Pour ceux consommant des œufs, on conseillera le choix d’œufs issus de poules nourries aux graines de lin pour l’apport en oméga 3

D’autres nutriments méritent une attention particulière dans une alimentation végétarienne. Des études menées par l’ANSES en 2025 montrent que les végétariens manquent aussi de :

  • Le fer : il est indispensable au transport de l’oxygène dans le sang. Les végétariens consomment uniquement du fer d’origine végétale que l’organisme assimile avec plus de difficulté. Cependant, on peut améliorer cette absorption en adoptant quelques réflexes simples : associer une source de vitamine C et acides organiques (kiwis, agrumes, fruits rouges ou exotiques, poivrons jaunes, cresson, brocolis) au cours du même repas. Veiller à consommer du thé ou du café à distance des repas (2h avant / après) car ils contiennent des substances qui freinent l’absorption du fer.
  • L’iode : présent dans les produits de la mer, il est indispensable à la synthèse d’hormones thyroïdiennes. Celles-ci interviennent dans des fonctions vitales de l’organisme comme la thermogénèse (= maintien de la température corporelle).
  • La vitamine B12 : elle se trouve uniquement dans les produits d’origine animale et est essentielle au fonctionnement du système nerveux ainsi qu’à la fabrication des globules rouges. Une supplémentation est donc intéressante à mettre en place.
  • La vitamine D : elle aide à fixer le calcium et le phosphore sur les os, ce qui expliquerait pourquoi les végétariens ont un plus faible équilibre phosphocalcique que les non végétariens. Cela augmente les risques de maladies cardiovasculaires et de fractures des os (jusqu’à 30% selon une étude de cohorte publiée dans la revue *BMC Medicine*).

La partie précédente mentionnait qu’une des motivations pour devenir végétarien était les bénéfices sur la santé. En ce sens, cette étude de l’ANSES a évalué les effets bénéfiques sur la santé d’une alimentation végétarienne.

Les personnes végétariennes présentent un risque plus faible par rapport aux non-végétariens de développer certaines pathologies : diabète de type 2, cancers (prostate, estomac, sang), maladies gastrointestinales, du cœur, cataracte… En revanche, ils présentent un risque plus élevé de fractures osseuses.

Si le régime végétarien s’avère équilibré quand il est bien construit, il requiert une connaissance des besoins nutritionnels et une vigilance dans les choix alimentaires que nous faisons.

Ces ajustements nutritionnels, connus des diététiciens, doivent désormais être intégrés dans la composition des produits végétariens industriels, afin d’assurer une offre équilibrée et accessible au grand public.

Une opportunité pour l’agroalimentaire

Face à ces évolutions, les entreprises agroalimentaires doivent adapter leur offre. Cette demande pour des produits végétaux représente une opportunité d’innover et de diversifier leur gamme de produits.

C’est également un enjeu stratégique pour se positionner sur un marché en pleine expansion et renforcer leur compétitivité.

Le marché européen des alternatives végétales connaît une croissance solide. Selon les données de Circana pour Good Food Institute Europe, les ventes au détail d’aliments végétaux ont augmenté de 5,5% en 2023 sur six grands marchés européens (Allemagne, Royaume-Uni, France, Italie, Espagne et Pays-Bas), atteignant une valeur totale de 5,4 milliards d’euros, avec une hausse des volumes de 3,5 %. Les laits végétaux (2,2 Md€) et les viandes végétales (2 Md€) dominent le marché.

En France, ce marché est évalué à 648 millions d’euros en 2023, avec une progression de 18 % en valeur entre 2021 et 2023. Les produits les plus vendus sont les fromages végétaux (+165 %), suivis des viandes végétales (34 % du marché) et des laits végétaux (33 %).

Cette dynamique est portée par l’évolution des comportements alimentaires. Selon une étude menée en 2024 par Protéines France et Terres Univia, 25% des Français déclaraient consommer des produits à base de protéines végétales de manière hebdomadaire, dont 14 % plusieurs fois par semaine.

Les consommateurs cherchent à diversifier leur alimentation, et certains types de produits ressortent : desserts végétaux (31% en consomment au moins une fois par semaine), alternatives végétales à la viande (28%), plats cuisinés (22%) et boissons végétales (22%). Ces chiffres traduisent une volonté d’introduire plus de végétal dans son alimentation quotidienne.

Certaines marques se sont déjà positionnées et ont créé des alternatives aux jambons, steaks ou boulettes de viande en incorporant des légumineuses, du soja et des épices pour rehausser le goût.

C’est là que le dialogue entre l’industrie agroalimentaire et diététiciens pourrait s’avérer pertinent pour créer une offre à la fois attractive, responsable et fonctionnelle.`

Ainsi, la montée du végétarisme et du flexitarisme témoigne d’une volonté croissante des Français de mieux consommer : pour eux, pour la planète et pour leur santé.

Cette transformation de notre modèle alimentaire ouvre la voie à une nouvelle génération de produits, de marques et de storytelling qui enrichissent peu à peu notre culture alimentaire.


Diététicienne-nutritionniste diplômée et actuellement en 3e année d’école de commerce spécialisée en Food Business, Enora Bachelot aime  faire le lien entre les données scientifiques issues d’organismes de référence et les innovations du secteur agroalimentaire. Curieuse de nature, elle cherche à comprendre ce qui se cache derrière les évolutions des comportements alimentaires. C’est pourquoi elle décrypte ici les grandes tendances pour mieux nourrir le monde de demain. Voir son profil Linkedin.


Sources : IFOP, ANSES, BMC Medecine, Circana, Good Food Institute Europe, Protéines France et Terres Univia.

 

La veille des innovations alimentaires

Inscrivez-vous pour recevoir gratuitement, chaque lundi, les infos sur les tendances et innovations alimentaires en France et à l'international