Actualité agro-alimentaire

« La consommation des algues comme légumes est en devenir dans la gastronomie française » Stéphanie Pedron, CEVA

Stéphanie Pedron, Directrice Générale du CEVA, pouvez-vous nous décrire votre parcours et le Centre d’Etude et de Valorisation des Algues ?

Bretonne et biologiste marine de formation, je n’ai jamais vécu ni travaillé très loin des lacs ou de la mer. Spécialisée initialement en génétique des populations, j’ai travaillé pendant plusieurs années à l’étranger (IRD de Nouméa, Blue Ventures à Madagascar, Espagne Guadeloupe) pour œuvrer en faveur de la protection des espèces menacées et d’une alimentation locale et durable.

Je suis rentrée en France en 2007 pour travailler à l’Irstea sur un projet européen (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture), et ensuite poursuivre vers un poste à l’Agence de l’eau Seine-Normandie (SN), à Honfleur.

En charge du pilotage de la surveillance biologique, chimique et écotoxicologique des eaux marines et littorales du bassin SN, j’ai pu appréhender les questions liées à la gestion de la ressource en eau et agir pour concilier cette gestion avec le développement économique et le respect de l’environnement.

Le CEVA, en tant que centre de recherche et développement, rentre également dans cette dynamique de développement durable, par les connaissances qu’il acquiert depuis plus de 40 ans sur notamment les espèces de microalgues et de macroalgues, mais aussi sur leur utilisation comme solution alternative ou complémentaire aux produits pétrosourcés, aux matières premières agricoles alimentaires (amidon, huiles…).

Le CEVA est structuré en 3 pôles scientifiques afin de répondre aux enjeux de la filière, de l’amont à l’aval. Centre d’innovation doublement qualifié ITA (institut Techique agricole) et ITAI (Institut Techique agro-industriel), le CEVA assure en particulier le transfert des connaissances scientifiques issues du monde académique vers le domaine industriel.

Composé de 28 collaborateurs permanents, il met son expertise au service du monde industriel pour provoquer, conseiller et accompagner les projets de R&D et de développement économique dans la production et l’exploitation des algues et des végétaux.

Aussi, il traite aussi bien des enjeux de qualité de l’eau (via le traitement des effluents industriels ou agricoles, via le suivi des eaux littorales en lien avec l’eutrophisation des milieux, via le développement de solutions alternatives aux produits phytosanitaires), que des enjeux de sourcing (via par exemple la maîtrise de la culture des espèces via sa plateforme R&D en mer, en qualité et en quantité) ou de nutrition santé animale, végétale ou humaine (démédicalisation des animaux en élevage, bénéfices nutritionnels, stimulation des défenses naturelles/ reconstitution des flores intestinales/prébiotiques).

Notre objectif est d’accompagner les acteurs qui le souhaitent à une utilisation accrue des algues dans leurs secteurs d’activités, dans une approche d’économie circulaire, afin que les algues à elles seules, ne soient pas LA solution à une démarche plus vertueuse, mais qu’elles y contribuent fortement.

Selon vous, comment les algues vont participer à la transition alimentaire des Français dans les années à venir ?

Les algues présentent de nombreuses qualités pour répondre à la transition alimentaire de demain et ainsi rapprocher la question alimentaire à la question agricole. Une transition ne se fera pas sans l’autre, d’autant que les algues sont des organismes photosynthétiques qui ne demandent pas un usage excessif de certaines ressources comme l’eau ou les sols, pouvant avoir un impact sur les écosystèmes.

Nous sommes convaincus au CEVA, comme les populations asiatiques l’ont compris avant nous et depuis des millénaires, que les algues peuvent contribuer à une transformation sociale de grande ampleur.

Ainsi, compte tenu de tous les objectifs actuels en agro-alimentaire : réglementaires, de sécurité alimentaire, de réponse aux préférences alimentaires des consommateurs, de l’assurance d’un niveau de vie décent pour tous les producteurs, de création d’emplois, de production de biomasses en qualité et en quantité dans le respect des milieux, d’atténuation et d’adaptation au changement climatique, les algues peuvent permettre de répondre à bon nombre d’entre eux par une refonte des systèmes actuels.

On s’aperçoit aujourd’hui, encore plus qu’hier, de la nécessité de modifier et de changer nos modèles économiques. L’agriculture traverse actuellement certains bouleversements et elle se doit de s’adapter aux nouveaux modes de consommation et à la demande sociétale.

Comme pour l’agriculture (ou l’aquaculture telle qu’on la connaissait jusqu’à aujourd’hui), nous pourrions passer d’un modèle de mono à un modèle de polyculture. A titre d’exemple, l’AMTI (Aquaculture Multitrophique Intégrée) s’inscrit dans un schéma de développement durable et écoresponsable, en asscoiant plusiers espèces de différents niveaux trophiques sur une même unité de production.

Nous pourrions presque parler d’économie circulaire, tant le recyclage du « déchet » organique est au cœur du système. Les aquaculteurs d’aujourd’hui contribueront ainsi, demain, à la production d’aliments durables, sains, de qualité et dont on connait l’origine.

Pour que l’algue participe à cette transitions (ces transitions?), les politiques publiques doivent accompagner, voire impulser cette dynamique, là où les acteurs de la filière algues travaillent déjà, et parfois depuis de nombreuses années, à rendre l’algue plus visible, plus lisible auprès du consommateur.

Le consommateur reste très ambivalent sur la consommation des algues ; attirés par la naturalité et la palette aromatique qu’elles inspirent, l’image de l’algue visqueuse au goût très prononcé reste encore le principal frein pour le consommateur.

Pour contribuer à la transition alimentaire, l’algue doit être mieux connue des consommateurs, et être proposée comme une réponse aux multiples besoins nutritionnels d’une part, mais également comme une réponse aux enjeux environnementaux d’autre part.

Leur démocratisation passera par une acculturation du grand public à cette matère première et à une éducation culinaire dès le plus jeune âge.

Quelles sont les produits à base d’algues que nous pouvons consommer aujourd’hui ?

La consommation des algues comme légumes est en devenir dans la gastronomie française : il existe une demande croissante pour ces végétaux naturels et bons pour la santé. Cet engouement ne semble pas être un phénomène de mode mais plutôt une réelle tendance alimentaire s’inscrivant dans la durée.

Actuellement en Europe, l’utilisation des algues est majoritairement réalisée par l’industrie des texturants (alginate de sodium et carraghénanes) à plus de 80%. Mais la France fait figure de locomotive pour l’algue alimentaire, avec notamment des produits alimentaires dans les réseaux de distribution spécialisés (magasins diététiques, magasins de produits biologiques et également magasins asiatiques pour les produits d’importation), mais une démocratisation récente de produits dans des réseaux de plus en plus généralistes.

Les produits à base d’algues vont des produits les plus bruts (sous forme fraîches, frais salés, déshydratées, surgelées) à des produits plus élaborés (fermentés, pré-cuisinés, tartinables, perles d’alginates en cuisine moléculaire).

Le tartare aux algues, star incontournable de la cuisine aux algues existe depuis plus de 20 ans maintenant. En 2016 est même sorti le tartare d’algues sous marque distributeur ! Dernièrement, de nouveaux produits innovants ont fait l’actualité, comme par exemple les dés d’algues surgelés à poêlés de ZALG, primés au SIAL Innovation en 2022.

Quels conseils donneriez-vous aux consommateurs afin de manger de façon plus durable ?

Je ne vais rien inventer 🙂 Il est nécessaire de penser à la saisonnailité des produits, à consommer le plus local possible et d’éviter les intermédiaires (circuits courts).

Même si je suis consciente de la baisse du pouvoir d’achat, il est préférable de manger moins mais mieux et donc, parfois, de payer un pue plus cher un produit que l’on sait être meilleur pour la santé. il faut donc lire les étiquettes et limiter les produits ultra-transformés.

« Récoltées ou cultivées en mer, cultivées à terre sur des surfaces non agricoles, les algues peuvent contribuer à diversifier notre alimentation sans entrer en compétition avec d’autres ressources alimentaires. Dans un futur proche où l’homme doit se tourner vers plus de ressources végétales, les algues sont donc un aliment de choix. Dotées de qualités organoleptiques, elles peuvent en outre être bénéfiques à notre santé comme à celle des animaux. Autant de motifs qui nous laissent à penser qu’un bel avenir leur est promis! «  nous explique Hélène Marfaing dans son livre blanc à télécharger.

Plus d’informations sur www.sensalg.fr

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